La pizza, si elle nous semble aujourd’hui un met universel, reste dans l’esprit de tous symbole de l’Italie ancestrale. Un plat à la fois simple par ses ingrédients et qui requiert maestria dans son façonnage, et qui se décline de mille façons, s’adaptant à tous les particularismes locaux et à toutes les exigences de marché. Devant l’avalanche de versions, puristes et novateurs s’opposent sur les questions de respect des traditions et d’évolution des goûts et de la demande, à la recherche de la vraie pizza…
Les origines de la pizza, entre histoire, légendes et controverses
La question des origines de la pizza sucite souvent des controverses. Il faut dire qu’il convient de distinguer la pizza "antique", sorte de galette garnie cuite sur une pierre chaude et qu’on retrouve sous des formes diverses dans tout le bassin méditérannéen (Grêce, pays arabes, sud de la France etc), et la pizza telle qu’on la conçoit le plus souvent aujourd’hui, faite de pâte levée et garnie de sauce tomate et de mozzarella. Si l’on trouve des preuves de l’existence de la première il y a plus de 3000 ans, la dernière est beaucoup plus récente, puisqu’il a fallu attendre la chute de l’empire romain et l’invasion du sud du pays par les Longobards pour que soient introduits les buffles et leur production laitière en Italie, et la découverte du nouveau monde pour que la tomate soit impostée d’Amérique latine et se diffuse à Naples, grand port d’échanges internationaux et berceau de la pizza aujourd’hui reconnue comme la plus authentique.
La Margherita, simplement garnie et traditionnelle, aurait été créée par Raffaele Esposito en hommage à la reine Maguerite, épouse d’Umberto 1er d’Italie, en visite à Naples. Evidemment, s’agissant d’un plat ancien, basique et de tradition orale, les origines exactes restent floues et nombreux sont ceux qui en contestent la paternité, l’attribuant qui aux influences germaniques, qui aux émigrants revenus d’Amérique…
Variantes et régionalismes, non pas une pizza mais des pizze…
En Italie, on ne parle en réalité que rarement de pizza au singulier. Chaque région a ses habitudes et ses goûts, de la fine pizza napolitaine à l’épaisse pâte florentine en passant par la pizza des Pouilles dont la préparation mèle farine et pomme de terre écrasée… Evidemment, tout un chacun étant persuadé que la sienne est "la vraie"! A cette diversité s’ajoutent les variantes de nom (focaccia, schiacciata…) de forme (ronde, al taglio, au mètre), de cuisson (frite, cuite au feu de bois…) et de garniture. Chaque région semble s’être approprié la recette pour l’adapter à ses ingrédients et spécificités, et l’unification tardive du pays a renforcé avec le temps ces particularismes régionaux (les controverses autour des origines des recettes sont assez courantes en Italie, et l’on observe le même phénomène pour la pignolata, les pizzelle, les taralli…)
A l’étranger, les diparités s’accentuent avec la mise sur le marché de produits américains à la pâte plus épaisse et à la garniture plus abondante, mais aussi avec l’interprétation locale de la recette originale, comme pour la très décriée utilisation d’emmental en France à la place de la mozzarella, sans même parler des versions fantaisistes qu’on trouve aujourd’hui, décalées (comme la pizza Hawaïenne garnie de jambon et d’ananas), monochromes et même sucrée…
Entre savoir ancestral et dérives, les 1001 vies de la pizza
La pizza, à l’origine plat de rue populaire mangé sur le pouce, a vu peu à peu les habitudes des consommateurs changer, avec l’instauration des formules à emporter ou livrées à domicile, mais aussi la mise à la carte de grands restaurants étoilés, où elle se voit traiter comme un met raffiné. Une ambivalence qui atteind son paroxysme dans le décalage entre les pizzas frites servies dans les rues de Naples pour quelques euro et la pizza à la truffe blanche, aux champignons et fromage mise en 2005 à la carte du restaurant londonien de Gordon Ramsay’s Maze pour 100 £, ou encore la pizza au caviar servie pour 1000$ au Nino’s Bellissima Pizza à Manhattan. Entre simplicité et démesure, les prix et prétentions se multiplient autour de ce met basique si controversé… Pour rétablir l’odre et faire face aux dérives d’appellation, la pizza Napolitaine fait depuis 2010 l’objet du label européen STG (spécialité traditionnelle garantie) qui impose le respect d’un cahier des charges précis: choix de la farine, utilisation d’huile d’olive extra vierge, mode de cuisson, fraîcheur des ingrédients, durée de la levée etc. Un retour aux sources qui nourrit le fort sentiment d’un patrimoine gastronomique et culturel de poids, et a même amené le dépot en mars 2011 d’une demande pour faire inscrire l’arte tradizionale dei pizzaioli napoletani sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’Unesco…
Finalement, tant que prime la qualité des produits utilisés, on peut se demander si cette obsession de "la vraie" version n’est ce pas un peu insensée et si cuisiner, ce n’est pas justement s’affranchir des habitudes d’hier pour créer de nouvelles recettes, et faire poursuivre à une spécialité ancienne sa route dans le paysage gastronomique d’aujourd’hui. Car comme le disait Jacques Attali dans Fraternités, une nouvelle utopie: "S’il y a un plat universel, c'est bien la pizza, parce qu’elle se limite à une base commune – la pâte – sur laquelle chacun peut disposer, agencer et exprimer sa différence."